
Christian Aid Ireland (CAI) dirige le programme de sensibilisation aux conflits et de consolidation de la paix du réseau Christian Aid, actif dans environ 29 pays à travers le monde. Depuis 2017, PeaceNexus soutient les efforts de CAI visant à renforcer sa contribution à la consolidation de la paix et à appliquer les normes opérationnelles les plus élevées dans l’ensemble de ses programmes et de son soutien aux partenaires dans les pays touchés par les conflits et la violence. Dans cet article de blog très instructif, Eric Sanchez (@EdeEric) partage les enseignements tirés de leurs projets pilotes humanitaires sensibles aux conflits en République démocratique du Congo (RDC) et au Soudan du Sud.
Christian Aid a commencé à s’intéresser à la sensibilité aux conflits dans le cadre de ses interventions humanitaires. Étant donné que 80 % des besoins humanitaires actuels sont liés à des conflits violents, il est essentiel pour notre travail de s’attaquer aux causes profondes de la violence.
Lorsqu’elle travaille dans un pays touché par un niveau élevé de violence, une ONG accepte sciemment de s’intégrer dans cet environnement. Les bénéficiaires de l’aide humanitaire, les personnes recrutées localement, la provenance des matériaux et des marchandises, tout cela profitera inévitablement, ou sera perçu comme profitant, à un groupe plutôt qu’à un autre. Cette interaction entre les ONG et le contexte dans lequel elles opèrent revêt une importance particulière dans les contextes marqués par une histoire de violence, notamment en raison des risques potentiels d’aggravation ou de reprise des anciennes tensions communautaires si les interventions ne sont pas soigneusement conçues.
Une bonne pratique pour les agences humanitaires dans les pays touchés par la violence consiste à s’assurer que leur approche est sensible au conflit. Cela signifie avant tout impliquer les acteurs locaux et acquérir une compréhension approfondie des causes profondes du conflit. Deuxièmement, cela exige des ONG qu’elles comprennent l’interaction entre leur intervention et le contexte, car ne pas le faire risque réellement d’exacerber le conflit. Et troisièmement, les organisations doivent ensuite adapter leurs interventions afin de minimiser les effets négatifs, tout en maximisant les impacts positifs sur la paix.
Cette focalisation sur la paix est un élément crucial de la sensibilité au conflit, qui ne relève pas naturellement de la compétence des organisations humanitaires. Pendant des années, le travail pour la paix a été laissé aux organisations spécialisées dans la consolidation de la paix. Aujourd’hui, des données claires indiquant que 80 % des besoins humanitaires sont liés à des conflits, les humanitaires doivent comprendre comment adapter leur travail afin d’avoir un impact positif sur la paix.
C’est pourquoi l’unité « From Violence to Peace » (De la violence à la paix) de Christian Aid a fait de la consolidation de la paix et de la réduction de la violence un axe stratégique clé. Au cours de l’année 2020, l’unité a accordé des subventions ponctuelles, flexibles et modestes aux équipes nationales afin qu’elles adaptent leurs interventions humanitaires pour les rendre plus sensibles aux conflits. Voici quelques-uns des enseignements tirés de la RDC et du Soudan du Sud.
Les évaluations des besoins sont importantes mais ne suffisent pas – Leçons tirées de la RDC
En RDC, Christian Aid mène une action multisectorielle combinant une aide d’urgence et des interventions à plus long terme visant à renforcer les fondements démocratiques du pays en soutenant l’inclusion de la société civile, en s’attaquant aux causes profondes de la violence et en promouvant l’égalité des sexes.
Lors d’une visite de suivi dans la ville de Kitshanga, dans l’est de la RDC, le personnel de Christian Aid a remarqué qu’une distribution de nourriture, mise en œuvre conjointement avec une agence des Nations unies et un partenaire local, avait ravivé les tensions entre les tribus Hutu et Hunde. Le problème venait du fait que la distribution était uniquement basée sur une évaluation des besoins, qui identifiait les personnes ayant le plus besoin d’aide sans tenir compte de la dynamique du conflit.
Cet exemple illustre parfaitement la nature complexe de l’action humanitaire aujourd’hui, où plusieurs partenaires se réunissent pour coordonner conjointement la distribution de l’aide. Dans ce cas précis, l’évaluation des besoins a été réalisée par l’agence des Nations unies, mais la distribution proprement dite a été déléguée à Christian Aid et à son partenaire national. Au cours du processus, aucun d’entre eux n’avait procédé à une analyse approfondie du conflit, qui aurait sans aucun doute permis de mieux comprendre les divisions historiques entre les différents groupes ethniques de la région. Cela a conduit à une distribution de nourriture principalement à la communauté hutu, alimentant ainsi le ressentiment des Hundes, dans un contexte complexe et ancien de tensions intercommunautaires et de violence armée.
Les évaluations des besoins constituent le fondement du travail humanitaire, car elles permettent d’identifier les personnes touchées de manière disproportionnée par la pauvreté et les inégalités. Cependant, comme notre expérience en RDC nous l’a montré, les évaluations des besoins doivent être complétées par une compréhension approfondie du contexte du conflit et des adaptations doivent être apportées en conséquence, conformément aux principes d’équité.
Un suivi et une adaptation réguliers sont essentiels pour une programmation sensible aux conflits
Le personnel de Christian Aid a pu identifier l’escalade des tensions à un stade précoce lors d’un exercice de suivi. Cela a conduit à la conception d’une série d’adaptations, notamment la réunion des chefs communautaires des deux groupes ethniques afin de leur fournir un aperçu clair des objectifs du programme, de sa justification et des critères utilisés pour identifier les bénéficiaires. En effet, l’engagement de la communauté dès les premières étapes de tout programme permet d’instaurer la confiance, d’établir une relation entre partenaires égaux et de promouvoir la responsabilité et la transparence.
Travailler sur les conflits et la paix signifie transformer la dynamique intergroupes
En outre, la nature et la conception inclusives de l’adaptation ont non seulement permis de désamorcer les tensions, mais ont également créé une interaction positive entre les chefs communautaires hutus et hunde, qui ont été chargés de travailler ensemble pour résoudre les tensions jusqu’à la fin de la distribution alimentaire.
Il est important d’anticiper les dommages avant même qu’ils ne se produisent – Leçons tirées du Soudan du Sud
Dans la région sud-soudanaise du Bahr el-Ghazal septentrional, Christian Aid mène une vaste intervention humanitaire qui consiste à fournir une aide d’urgence, une protection contre la violence sexiste, un renforcement de la prévention des conflits au niveau local et un soutien socio-économique à long terme aux communautés touchées par le conflit armé.
L’équipe de Christian Aid a anticipé un risque potentiel de préjudice en identifiant très tôt un nombre très faible de participants masculins dans le cadre du soutien aux moyens de subsistance agricoles et des associations villageoises d’épargne et de crédit (VSLA). Bien que le programme ait été initialement conçu pour mettre l’accent sur l’autonomisation des femmes, en raison de leur exposition disproportionnée à la pauvreté par rapport à leurs homologues masculins, l’équipe n’avait pas prévu que seuls 18 % des participants seraient des hommes.
Si une telle disparité peut ne pas sembler alarmante à première vue, l’expérience a montré que les projets qui impliquent exclusivement ou de manière disproportionnée les femmes par rapport aux hommes peuvent susciter le ressentiment de ces derniers. Les programmes de subsistance peuvent entraîner des changements dans les normes sociales et de genre traditionnelles et, s’ils ne sont pas surveillés attentivement, ils peuvent augmenter l’incidence de certaines formes de violence sexiste. Par exemple, la violence domestique peut augmenter si les partenaires ou les membres de la famille se sentent menacés ou ressentent du ressentiment à l’égard de la nouvelle indépendance économique des femmes, en particulier dans les États touchés par des conflits où les hommes de la famille peuvent ne pas être en mesure d’assumer leurs responsabilités traditionnelles de « soutiens de famille » en raison de l’impact de la guerre.
Alors que l’adaptation du programme en RDC a été déclenchée en réponse aux tensions causées par le projet, au Soudan du Sud, l’équipe a réagi de manière anticipée et avant que des dommages ne soient constatés. Cela met en évidence un principe fondamental de la programmation sensible aux conflits, à savoir la capacité du personnel du programme à anticiper les conséquences négatives avant même qu’elles ne se produisent, grâce à un suivi régulier et à l’application des adaptations nécessaires.
La sensibilité aux conflits signifie également comprendre l’impact des projets sur les questions de genre
L’équipe au Soudan du Sud a commandé une analyse contextuelle sensible au genre afin de mieux comprendre comment le programme pouvait accroître la participation des hommes. Entre autres recommandations, l’analyse a montré que les hommes préféraient l’élevage à l’agriculture comme moyen de subsistance, ce qui est fortement influencé par les rôles traditionnels attribués à chaque sexe. Dans un contexte où le volume du cheptel est souvent considéré comme un indicateur de richesse et une garantie pour le mariage (en plus d’être la principale source de revenus et de nourriture pour la majorité de la population), les hommes sont souvent encouragés socialement à accumuler du bétail. Le rapport a également mis en lumière la réticence des hommes à rejoindre les VSLA en raison de leur préférence pour les activités génératrices de revenus, qui sont considérées comme produisant des gains plus rapides. Les conclusions ont été prises en compte afin de garantir une participation plus équilibrée des hommes aux activités du programme.
Si elle ne tient pas compte des questions de genre, l’action humanitaire peut potentiellement accroître la violence à l’égard des femmes et des filles. Un suivi régulier de l’impact des activités sur les relations entre les sexes au sein du foyer et des adaptations rapides sont essentiels pour éviter les préjudices et réduire les niveaux de violence.
Pour plus d’informations sur le travail de CAI, veuillez consulter le lien suivant et contacter Eric Sanchez esanchez@christian-aid.org. Vous pouvez également suivre le travail d’Eric sur Twitter à l’adresse @EdeEric